• lemonde.fr : Gwénaël, le petit pêcheur breton en quête d’Europe

    Gwénaël Pennarun est adjoint au maire de la commune de Combrit. Il est chargé des affaires portuaires. Lire ci dessous l'article publié sur lemonde.fr .

    Le Monde | 07.05.2014 à 09h57  Par Angela Bolis

    Gwénaël Pennarun pêche le bar et le lieu jaune au large de Sainte-Marine, autour des Glénan en Bretagne.

    Gwénaël Pennarun est pêcheur aux confins de la Bretagne, là où l’Europe s’arrête dans l’océan. En cette saison, il part en mer sept jours sur sept, de 8 heures du matin « jusqu’à ce que ça ne morde plus ». Généralement seul sur son bateau d’une dizaine de mètres, il connaît ce coin de l’Atlantique autour de l’archipel des Glénan comme sa poche. Le matin, il y pêche au filet quelques kilos de lançons, des petits poissons argentés qui lui serviront d’appât, puis il traque les bancs de bars, un poisson noble. Il arrive à Gwénaël Pennarun de rentrer bredouille de sa journée en mer. Mais ce jour-ci, avec sa simple canne à pêche, lançant sa ligne dans la mer houleuse et moulinant sans cesse, il sort de l’eau, en quelques heures, plus de 30 kilos de bars et autant de lieus jaunes.

    La méthode est artisanale et l’on devine que la quantité de poissons tirés des flots ne videra pas l’Atlantique. Mais la petite pêche bretonne est régie par l’Union européenne au même titre que les navires-usines ou les grands chalutiers pélagiques, depuis la première politique commune de la pêche (PCP) en 1982. Cette PCP est réformée tous les dix ans. Sa dernière version, adoptée en décembre, va entrer en vigueur grâce au plan de financement approuvé mi-avril par le Parlement européen.

    Gwénaël Pennarun pêche essentiellement le bar et le lieu jaune, à la ligne, seul sur son bateau de moins de 12 mètres.

    Pour Gwénaël Pennarun, elle va plutôt dans la bonne direction. « Pour la première fois, au moins, les eurodéputés ont découvert qu’il existait une petite pêche. Parce qu’avant, à Bruxelles, ils ne voyaient vraiment que les gros. » Le marin cite en premier lieu l’article 17, sur lequel les petits pêcheurs comptent tout particulièrement pour défendre leurs intérêts. Celui-ci préconise d’inclure « l'impact de la pêcherie sur l'environnement » et sa « contribution à l'économie locale » parmi les critères d’attribution des droits de pêche par chaque Etat.

    Gwénaël Pennarun estime que ces résultats « encourageants » sont le fruit des efforts de lobbying des petits pêcheurs, qui n’ont pas les mêmes moyens que la pêche industrielle pour aller défendre leurs intérêts dans les couloirs du Parlement européen. Peu avant l’adoption de la réforme, ils ont fondé l’association Life, pour Low Impact Fishers of Europe, qui revendique plus de 5 000 petits pêcheurs de France, du Pays-Bas, du Royaume-Uni, de Pologne, d’Espagne, de Grèce et de Croatie. L’association, financée par une fondation anglaise, a prévu de salarier un directeur de communication qui sera chargé du lobbying à Bruxelles.

    JEUX ET ALLIANCES AU TEMPLE DU LOBBYING

    « Quand on s’est réunis pour la première fois entre petits pêcheurs français, on a vite compris qu’on ne pourrait pas faire bouger grand-chose au niveau national. Il fallait agir au niveau européen. C’est grâce à des ONG comme Greenpeace, qui nous ont poussés à nous allier entre pays, nous ont mis en contact, nous ont défrayés, quon s’est finalement associés, parce que sinon nous, on serait restés chacun dans notre coin », se souvient le marin-pêcheur.

    La collaboration des pêcheurs artisanaux avec ces grandes ONG environnementales se résumera surtout à un soutien logistique ponctuel, et leurs points de vue ne convergent pas toujours. Par contre, pour le ligneur breton, les intérêts à défendre sont globalement les mêmes pour tous les petits pêcheurs européens. « Qu’on soit en Grèce ou en Allemagne, c’est toujours le même problème, on est bouffés par les gros qui puisent les ressources. Aujourd’hui, c’est sûr qu’on trouve moins de poissons qu’il y a dix ans. Les grands chalutiers se rapprochent de plus en plus des côtes, près de nos zones de pêche, pour réduire les coûts de gazole. Et quand ils se mettent à vendre les mêmes espèces que nous, ils font chuter les cours. Le problème pour nous tous, c’est qu’on n’est pas soutenus face à ces grands armateurs. »

    Gwénaël Pennarun pêche essentiellement le bar et le lieu jaune à la ligne, seul sur son bateau de moins de 12 mètres.

    L’une des raisons de ce manque de représentativité dans les institutions européennes est tout simplement matérielle, poursuit le marin-pêcheur. « Les gros armements, ils ont des représentants dédiés au lobbying qui sont constamment à Bruxelles, et pendant ce temps, leur bateau est en mer. Moi quand je vais à Bruxelles, le bateau est à quai pour une journée ou plus, et je perds de l’argent. Et encore, j’ai de la chance, avec un collègue, on partage en deux ce qu’il pêche… » Résultat, pour Stéphane Baucher, très présent à Bruxelles pour l’association écologiste Oceania 2012, créée à l’occasion de la nouvelle PCP, « la petite pêche n’a quasiment pas été entendue. A Bruxelles, ce qui est positif, cest que tout le monde peut s’exprimer. Mais quand vous représentez le port de Lorient, on vous prête une autre oreille que quand vous êtes petit ligneur sur la pointe bretonne », résume-t-il.   

    « C’est sûr que les petits pêcheurs sont les moins structurés », estime aussi Alain Cadec, député européen et vice-président de la commission pêche, qui se dit « en permanence sollicité » par les différents lobbies. « Au final, les plus gros lobbyistes, devant même la grande pêche, ce sont les ONG environnementales, assure-t-il. Mais je ne ferme jamais mon bureau à personne, les élus locaux, les parlementaires nationaux, les ministres de la pêche, les professionnels... Bruxelles, c’est un système un peu anglo-saxon, un lobbying transparent, réglementé, avec des gens répertoriés qui ont leur carte de lobbyiste. On discute, on rapproche nos points de vue : c’est important pour former nos idées avant d’aller voter. »

    DE BRUXELLES AUX LIGNEURS BRETONS, UN IMPACT DIRECT

    Sous-représentés, les petits pêcheurs sont pourtant directement concernés par les lois européennes, face auxquelles ils se sentent parfois pénalisés. Exemple le plus flagrant : les quotas de pêche, soit le stock de poissons d’une espèce que l’UE autorise à pêcher selon les Etats.

    Pour Gwénaël Pennarun, il est discriminant que la pêche d’une espèce, une fois le quota atteint, soit fermée pour les gros comme pour les petits pêcheurs, les premiers ayant bien plus contribué à épuiser la ressource que les seconds. Dans le cas du lieu jaune, une espèce vitale pour les ligneurs bretons, ces derniers ne doivent leur salut qu’à l’actuelle tolérance de l’organisation de producteurs qui gère l’application locale de cette réglementation, et ferme la pêche plus tôt pour les gros armements, afin que les plus petits terminent leur saison. De manière général, pense Gwénaël Pennarun, « ces quotas sont là pour sauver la grande pêche, pour montrer qu’on fait quelque chose, au lieu d’interdire vraiment les méthodes de pêche les plus destructrices ».  

    Gwénaël Pennarun sur son bateau de pêche, le bélouga.

    Dans l'Union européenne, après plus de trois décennies de PCP, près de 90 % des réserves halieutiques sont surexploitées, d’après Maria Damanaki, commissaire européenne à la pêche depuis 2009. La même année, la Commission définissait la situation de la pêche communautaire par « une surexploitation des stocks, une surcapacité des flottes de pêche, de fortes subventions, une faible résilience économique et une baisse des quantités de poissons capturées par les pêcheurs européens ».

    La nouvelle PCP pourrait changer la donne, notamment en fixant d’ici à 2020 un objectif de rendement maximal durable, afin de ne pas pêcher plus que ce que l’océan peut produire. Reste à mettre en œuvre, au niveau national, ces grands principes européens. La prochaine bataille, pour Gwénaël Pennarun, se passera au niveau du ministère, avec le secrétaire d’Etat chargé de la pêche Frédéric Cuvillier, également maire de Boulogne-sur-Mer, premier port de pêche français. Or « à ce niveau là, on n’est pas encore du tout entendus, c’est catastrophique », regrette le pêcheur. Greenpeace a accusé le Boulonnais de mépriser la petite pêche artisanale, qu’il a comparée à une « pêche de loisirs » dans La Voix du Nord, pratiquée à l’aide de « barques » dans une audition assez édifiante à l’Assemblée nationale, comme le montre la vidéo ci-dessous :

    Pourtant d’après la plateforme de la petite pêche, ces pêcheurs artisanaux travaillant sur des bateaux de moins de 12 mètres représentent « près de la moitié des marins-pêcheurs français et plus de 80 % des bateaux de pêche en France, [et] au niveau européen, 65 % des emplois directs et 83 % de la flotte ».

    Retour de pêche pour Gwénaël Pennarun et ses confrères dans le port de Sainte-Marine sur la pointe de la Bretagne.
     
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