• Marée du siècle. Comprendre les marées ce n'est pas la mer à boire

    Avant les très grandes marées de vendredi, Hubert Reeves nous éclaire : d'où vient cette eau, pourquoi est-elle salée, comment se forme une marée ?

    Entretien

    Une marée exceptionnelle est annoncée vendredi, puis une « marée du siècle » le 20 mars. C'est exagéré ?

    C'est un événement intéressant à observer, mais cela n'aura pas un impact énorme à long terme.

    C'est quoi une marée ?

    C'est tout le principe de la gravitation des planètes. Ici, la Terre exerce une force de gravité sur la Lune et la Lune exerce une gravité sur la Terre. La marée terrestre est l'effet de la masse de la Lune sur notre planète. Les océans se soulèvent et la Terre est légèrement déformée, avec deux bourrelets symétriques à sa surface, comme un ballon de rugby.

    Y a-t-il des marées sur la Lune ?

    Oui. Tout, dans le système solaire, est soumis à l'attraction universelle. Les marées lunaires, générées par l'attraction de la Terre, sont si puissantes qu'elles bloquent la rotation de la Lune. C'est ce qui fait qu'elle nous montre toujours la même face.

    Quand on parle de marée terrestre, on pense à la Lune, on oublie souvent le Soleil…

    Le Soleil est plus éloigné de la Terre que la Lune. Il exerce donc une force beaucoup moins forte sur notre planète. Mais cette force d'attraction est loin d'être négligeable. Une grande marée, c'est justement quand la Lune et le Soleil tirent dans le même sens. Les deux astres sont alors alignés sur un même axe ; leurs forces de gravité se cumulent pour tirer plus fort et soulever davantage la mer. Ce phénomène se produit lors des équinoxes, en mars et en septembre, quand jour et nuit sont de durée équivalente.

    Et lors des basses eaux ?

    Là, Soleil et Lune sont positionnés en angle droit par rapport à la Terre, c'est ce qu'on appelle les marées mortes.

    La marée existe aussi sur la terre « ferme » ?

    L'attraction universelle s'exerce sur les mers comme sur les continents. La Lune soulève l'eau, mais aussi la croûte terrestre. C'est imperceptible à l'œil, car tout bouge en même temps.

    Même en Méditerranée ?

    En Méditerranée, ou sur les lacs, il y a aussi des marées, mais leur effet est minime : le marnage ne dépasse guère 8-10 cm. Car les marées s'amplifient par résonance. Dans l'Atlantique, elles naissent de poussées très faibles, mais l'espace est si grand qu'elles s'amplifient en soulevant la mer de plus en plus haut.

    Mais pourquoi est-ce plus fort au Mont-Saint-Michel qu'à Brest ?

    Comme dans d'autres baies ou estuaires du monde, il se produit ici un effet d'entonnoir : si vous projetez de l'eau par la grande ouverture, elle sortira plus vite du côté plus étroit. L'eau est refoulée et remonte loin dans l'estuaire. La baie du Mont est comme un grand « V » entre la Bretagne et la Normandie. Lors des grandes marées, l'eau s'y retrouve coincée comme dans une voie sans issue.

    Les marées sont puissantes, mais de là à déclencher une nouvelle ère glaciaire…

    Détrompez-vous  ! Environ tous les 100 000 ans se produit une ère glaciaire due aux effets de marée conjugués entre la Terre, la Lune, le Soleil, mais aussi Jupiter et Saturne. Tout le monde s'y met !

    Aristote s'intéressait déjà au phénomène des marées…

    Depuis qu'ils vivent près de la mer, les humains se posent des questions sur les marées. Pendant longtemps, leur origine est restée méconnue. Mais ce que les hommes ont compris très tôt, sans doute bien avant l'émergence de la littérature, c'est que ce phénomène était lié à la Lune… Et c'est Newton, en découvrant le phénomène de la gravité, qui a permis d'en comprendre le principe général, vers 1660-1670.

    Cela n'expliquait pas pourquoi il y avait deux marées par jour…

    L'attraction lunaire est plus forte sur le côté proche de la Lune qu'au centre de la Terre, et moins forte sur le côté opposé, cela provoque un étirement de chaque côté. Pendant la rotation diurne, chaque point de la surface terrestre voit la mer se soulever deux fois.

    Que nous apprend la mer sur le système solaire ?

    La mer et l'atmosphère sont liées par leurs comportements. Leur impact sur l'environnement est fort : mieux cerner ces éléments nous aide à comprendre le réchauffement.

    Le réchauffement climatique aura-t-il un effet sur les marées ?

    Non. Mais il a déjà un effet indirect sur les dégâts générés par les marées, du fait que la mer monte. Le cumul des deux amplifie les inondations.

    La mer salinise aussi les terres…

    Oui, la montée des eaux, cumulée aux grandes marées, fait que l'eau salée pénètre de plus en plus loin et rend les terres de cultures stériles.

    Pourquoi la mer est-elle salée ?

    Le sel vient des fleuves qui lessivent les sols, notamment les mines de sel, depuis des milliards d'années. Les molécules de chlorure de sodium sont charriées jusqu'à leurs estuaires. Le sel file dans l'océan. Le phénomène d'évaporation fait le reste : seule l'eau douce part, le sel reste. Et la salinité de la mer augmente.

    Nos océans sont condamnés à devenir des Mer Morte ?

    La nature est bien faite… La salinisation des eaux est compensée par la subduction des plaques tectoniques. Les continents glissent en dessous les uns des autres : l'eau qui entre à l'intérieur de la Terre dépose son sel, mais l'eau qui ressort par les volcans est de l'eau douce. Tout s'équilibre.

    Mais d'où vient toute cette eau ?

    Des comètes et des astéroïdes, il y a des millions d'années. Elles étaient largement constituées de glace, qu'elles ont déposée sur la Terre en la percutant à plusieurs reprises. Une partie de l'eau de notre planète provient aussi probablement du dégazage des matériaux en fusion à l'intérieur même de la Terre, lors de sa formation. Reste une inconnue : quelle part provient des comètes, quelle part provient des astéroïdes ou du dégazage.

    La mer cache encore des mystères ?

    C'est ce qui est fascinant ! On connaît très peu de choses du fond des océans, à 5 000 ou 6 000 m de profondeur. On en sait aussi très peu sur les régions polaires. Mais comme les sols de l'Antarctique et de l'Arctique regorgent de pétrole, ils vont être de plus en plus exploités et donc étudiés. Nous avons également beaucoup à apprendre, encore, du réchauffement du Pacifique par le courant côtier El Niño. Le phénomène revient tous les cinq-six ans. On s'attendait à vivre un El Niño majeur cette année mais, étrangement, il ne s'est rien passé.

    C'est mauvais signe ?

    On peut s'en réjouir, car il n'y a pas eu de dommages, comme en 1988, où El Niño avait engendré sécheresses, inondations et cyclones. Mais c'est inquiétant de constater que nos prévisions sont imprécises : on ne peut donc pas s'y préparer et protéger les populations. On a encore du travail…

    Recueilli par Cécile RÉTO. "Ouest France"

    (1) Avec l'océanographe Yves Lancelot, au Seuil, 96 pages, 8 €.

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